
PHOTO : Bjørn Tore Moen
Le 3 septembre dernier, Ihsahn, cet artiste de renom du domaine des arts noircis du metal, donnait deux entrevues pour le Canada complet. Votre média de prédilection, Boulevard Brutal, a réussi à obtenir cet entretien exclusif avec le leader d’Emperor et musicien hors pair qui œuvre maintenant dans des sphères musicales plutôt progressives et surtout, inattendues! Si Ihsahn peut encore hurler la rage impériale, il se veut capable aussi de roucouler amplement, la preuve étant son dernier mini-album, Pharos. Entretien privilégié avec Vegard Sverre Tveitan, mieux connu sous son pseudonyme d’Ihsahn!
J’ai comme l’impression que tu as pris le temps d’écrire beaucoup de musique durant cette période de confinement exigée pendant la COVID-19. J’imagine que tu seras prêt à lancer énormément de matériel durant les prochains mois.
Pas nécessairement. Je me suis occupé d’autres trucs, surtout. J’avais déjà terminé les enregistrements de mes deux mini-albums, juste avant cette situation reliée à la COVID. Le premier du lot, du nom de Telemark et celui-ci, qui se nomme Pharos, sont comme deux entités musicales qui avaient déjà pris forme auparavant. Je me préparais beaucoup plus à pouvoir remonter sur scène. Je devais faire mon mini-album Telemark sur scène, au complet, lors d’un concert à Oslo et ensuite, le promouvoir lors de quelques dates en été. Ensuite, je voulais sortir Pharos et partir en tournée en Europe. Cette tournée aurait présenté mon matériel plus apaisant, plus mellow, plus progressif et disons, plus discret. Mais ce n’est pas arrivé. Je me suis gardé occupé par contre!
Est-ce que tu enseignes encore la musique? As-tu encore des élèves qui suivent tes cours?
J’enseigne encore, juste un peu. Que la guitare. J’ai encore une session qui se veut active à l’école, avec quelques élèves. Ce n’est qu’une petite partie de ce qui me tient occupé. Pendant l’arrêt face à la COVID-19, je peux te confirmer que j’ai travaillé sur l’album solo de Matt Heafy de Trivium. Nous avions du temps libre et je peux te dire que son album est terminé à 98%. C’est un projet qui s’est étendu sur quoi? 10 ans environ! Hahhha! De plus, j’ai ce désir plutôt intense de commencer à produire du matériel pour mon prochain album. J’ai commencé à ramasser des trucs qui étaient ici et là. Je me remets à l’écriture pour pouvoir produire mon prochain album.
Donc, ce ne sera pas un mini-album?
Non, un album complet. Il est évident que l’industrie musicale se transforme. Il y a cette tendance en ce qui concerne le fait de lancer des mini-albums. Pour mon genre de musique, et pour ce qui en est d’où je viens musicalement, le format du mini-album se veut intéressant pour pouvoir y aller avec des trucs différents. Mais je sais que les gens qui apprécient ma musique ont encore un intérêt marqué pour le format qu’est l’album complet et non pas des singles comme dans l’industrie de la musique pop. Dans le domaine de la pop, les albums n’ont pas le même impact que dans le domaine du rock et du metal. Ce que je propose musicalement, c’est dans la tradition des albums. C’est ancré dans les années 60 et 70, dans le sens où chaque pièce présentée sur l’album est une partie intégrante d’un tout. Comme les morceaux d’un casse-tête, rien n’est placé au hasard car il y a une logique à suivre. C’est de cette façon que je conçois mes albums, que j’analyse la musique de ce genre et j’y trouve ma propre direction.
Pour en revenir à Pharos, ta nouvelle production. Sur la couverture, on peut voir un phare qui permet de guider les bateaux. Plus j’écoutais Pharos, plus je le voyais comme ceci : Ihsahn représente cette lumière guidant les gens vers lui. Dans le sens que tu représentes cette lumière face à des chansons qui demeurent un peu inhabituelles. Donc, suivez-moi, je vais vous montrer LA direction car vous risquez d’être un peu déroutés.
C’est une façon de voir les choses et je comprends ton point de vue. J’expérimente beaucoup musicalement et parfois, cela peut être déstabilisant pour certains. En général, je veux que l’expérience musicale me plaise, en premier. Si je ne suis pas enivré par ma musique, je ne l’offrirais pas à un public. C’est la chose la plus décente à faire, en tant qu’artiste. Je ne pourrais pas offrir de la musique en sachant que les auditeurs ne seront pas excités par cette dernière. Faire de la musique et la proposer à un public, c’est un truc qui peut être perçu comme étant narcissique. C’est un voyage qui se veut centré autour de la personne qui a créé l’album ou juste, la chanson. Certains pensent que Pharos n’est qu’une façon de provoquer, venant de ma part. Une façon de faire réagir les gens qui apprécient ma musique, en proposant des chansons totalement différentes. Ce n’est jamais l’intention. J’ai choisi le titre Pharos et son symbolisme pour venir un peu à l’encontre du titre précédent, Telemark. Telemark est l’endroit d’où je viens, ce sont mes racines, c’est près de ma maison. Je voulais donc créer un contraste car Pharos, c’est lié aux voyages, un regard vers l’extérieur et partir vers l’inconnu. Se déraciner dans un sens. J’ai donc pensé à un phare car il peut offrir un symbolisme puissant et de nombreuses métaphores, justement. Comme tu le disais, c’est une façon de voir le phare. Tu peux le voir comme étant de se fixer des objectifs et que tu puisses suivre cette ligne mais il y a aussi la façon de le voir comme étant que tu puisses devenir cette balise, ce modèle à suivre. La création musicale peut être une expérience en solitaire, comme ce que peut vivre le gardien du phare. C’est une autre métaphore.
Oups, désolé pour les bruits environnants! C’était le téléphone du travail!
Es-tu dans ton bureau?
Oui, je suis le directeur d’une école. Le téléphone a sonné quelques fois, désolé!
Tu es un homme occupé!
Oui, mais je suis en pause pour faire cette entrevue par Zoom. J’ai le temps.
Oui, c’est toi le patron!
Le téléphone ne cesse de sonner depuis le début de la rentrée scolaire. Nous avons retourné un enfant ce matin, il était fiévreux. Nous avons de nombreux appels, les parents ont confiance mais demeurent inquiets.
Je comprends.
Pour reprendre notre entretien, je voulais continuer en soulignant le fait que sur Pharos, c’est ta voix claire qui est omniprésente. Les chansons sont très douces et chaleureuses. On dirait des chansons tirées d’une trame sonore de James Bond!
J’adore James Bond! Tout cela faisait partie du processus. Je voulais vraiment me lancer un défi. Je ne voulais pas refaire Telemark et je ne voulais pas me vautrer dans un sentiment de sécurité en proposant du matériel que les gens connaissent ou auraient pu reconnaitre facilement. C’est très facile pour moi d’utiliser ma voix plus hargneuse traditionnelle, je l’ai fait tout au long de ma carrière, je continue de le faire et continuerai. Mais j’étais très confiant d’utiliser ma voix mélodique sur Pharos. C’était un bon défi. Mon épouse, Ihriel, est celle qui est à la production des techniques de ma voix depuis de nombreuses années. Elle le fait aussi avec Einar Solberg, le chanteur de Leprous.
Donc, un travail de famille?
Effectivement! (NDLR : Einar Solberg est le frère d’Ihriel donc le beau-frère d’Ihsahn) Justement, elle nous connait vraiment bien. Elle sait vraiment comment travailler avec nous. Comment nous pousser, nous motiver et nous diriger convenablement. Elle sait où sont nos limites. Pour Pharos, c’était tout un boulot mais j’ai pu vraiment explorer les limites de ma voix plus claire.
Sur Telemark et Pharos, tu te permets de faire des interprétations qui se veulent plutôt inattendues et excessivement originales comme Wrathchild d’Iron Maiden, Rock N’ Roll is Dead de Lenny Kravitz, Manhattan Skyline de A-Ha et Roads de Portishead. Est-ce une façon de démontrer à tes fans que tu peux déconstruire des chansons pour les rebâtir à ta façon?
Une fois de plus, c’est une expérience personnelle. Quand j’ai commencé à travailler sur Telemark, j’avais déjà en tête les covers que je voulais inclure sur le mini-album. J’ai choisi les covers bien avant de commencer à composer le matériel original. Je voulais proposer un truc du genre « retour aux sources » avec un groupe complet dans le studio, qui joue une chanson. Ce type de sonorité me plaisait. Je voulais utiliser des chansons que j’aimais et qui transpiraient ce genre de sentiment. Par exemple, Rock N’ Roll is Dead de Lenny Kravitz possède cette attitude. C’est pratiquement black metal comme attitude. Tout l’aspect commercial a été enlevé et Kravitz a été capable de se débarrasser de la superficialité. Un retour aux éléments rock de la musique. Même chose avec Wrathchild d’Iron Maiden. C’est une chanson qui est tellement crue. C’est extrêmement primal et de base. C’est ce qui m’a attiré vers les deux chansons. Pour Pharos, il y a Roads de Portishead. Cette chanson est tellement fragile. Tout dans cette chanson laisse paraitre une certaine fragilité. Beth Gibbons, la chanteuse du groupe, se donne jusqu’au point de rupture face à sa voix. Dans l’interprétation, tout est proposé de façon très apaisante et tranquille. C’est lent, presque monotone comme texture. Je trouvais tout ça intéressant, toute cette structure sonore et d’y juxtaposer ma touche me convenait. Pour Manhattan Skyline de A-Ha, j’aime comment cette pièce est construite. Elle débute avec une approche plutôt calme, presque ambiguë, pour prendre un tout nouvel envol. On retrouve une guitare assez puissante, très rock pour le groupe A-Ha. Et que dire du refrain? C’est plus grand que nature. Donc, d’avoir ces deux pièces sur Pharos ajoutaient grandement car nous y retrouvons de nombreux niveaux musicaux. Ce sont des aspects que j’apprécie grandement de la musique. Les deux chansons amènent une certaine diversité au niveau de la sonorité de Pharos, autant qu’au niveau des textures sonores.
Comme dernière question, peut-on parler de « l’expérience Emperor » lors du Heavy Montréal 2018? Il y a eu de la pluie. À un moment donné, le concert était probablement à reléguer aux oubliettes.
Oui, c’était à oublier. Ce n’est pas la première fois que ce genre d’évènement nous arrive. Je ne suis pas superstitieux de nature. C’est pratiquement amusant, compte tenu de notre héritage black metal. Journée ensoleillée, tout le monde profite de la journée à Montréal. Le soir se pointe le bout du nez, nous sommes sur le bord de commencer quand tout à coup, c’est le déluge. Nous avons dû recouvrir tout notre équipement avec de longues bâches en plastique et il fallait faire très vite. Tout le monde était trempé, nous avons vraiment été pris par surprise. J’imagine que les gens dans la foule se sont retrouvés misérables, refroidis et que l’ardeur se voulait rafraîchie. Contre toute attente, on se retrouve avec le feu vert. Nous pouvons y aller. Notre intro s’est mise à jouer et au loin, je pouvais voir la pleine lune. Quand on y repense, c’était tout simplement parfait. L’énergie de la foule était juste à point. Les gens ont compris que toute cette série d’évènements n’était pas une coïncidence! En gros, je crois que tout ça a ajouté à l’intensité de l’expérience. J’avais joué au Heavy Montréal en 2015, c’est vraiment un festival fantastique. Je devais absolument revenir, je n’avais pas le choix. Partout où j’allais, tous les gens que je rencontrais, c’était unanime : Tu dois faire Heavy Montréal pour le buffet et le catering! Matt Heafy de Trivium est un foodie et lui, il n’en revient pas! Mais la première fois où j’ai joué, je n’ai vraiment pas pu profiter pleinement du buffet et du catering. J’ai tout manqué car j’ai donné trop d’entrevues pendant le jour! Quand nous y sommes retournés avec Emperor, j’ai dit à notre tour manager : Là, nous ne donnons aucune entrevue. Nous serons à Montréal pour profiter du buffet et du catering! Allons-y pour bouffer! Ce n’est pas vrai que je vais tout manquer cette fois-ci!
Pharos, ainsi que Telemark, sont disponibles sur Candlelight Records.
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