Lorsqu’il ne te parle pas de préoccupations métalliques, Kristof G. t’invite dans les coulisses des tribulations journalistiques d’un fan de métal perspicace et autodidacte, qui te balance toujours son infectieux enthousiasme dans ta face.
[La fois où] j’ai chillé sur un divan dans un parc avec les gars de Mantar
Mantar, c’est une formation blackened doom/sludge metal pas piquée des vers. Je dirais même plus, de la solide bombe de destruction massive. Des beats pas compliqués mais tricotés très serrés. Des riffs aussi lourds que les enfers sont profonds. Bref, de la musique de feu en fusion –oui-oui, ça se dit. Or, ça m’a pris un méchant bout de temps avant de me rendre compte à quel point ce duo de choc manquait à ma (contre) culture. Jusqu’à leur premier passage[1] en nos terres, soit lors de leur passage à Heavy Montreal en 2016. Je sais, je sais, Boulevard Brutal clamait haut et fort qu’ils étaient les sauveurs du métal – j’exagère à peine – depuis déjà un moment, mais que voulez-vous, j’écoutais pas. Ouin. Mieux vaut tard que jamais, non?
‘Fait que j’en ai mis dans tympans un peu-beaucoup pendant les semaines précédant leur arrêt montréalais. J’AI CAPOTÉ BEN RAIDE L’GROS. C’est que leurs deux albums alors parus – Death by Burning (2014) et Ode to the Flame (2016) – sont vraiment excellents. Ma chanson préférée doit être White Nights, petit brûlot dégoulinant de méchanceté tiré de leur premier. ÇA TUE JUSTE TROP. Et j’ai eu instantanément très hâte de les voir performer.
Rapidement, je me suis booké une rencontre avec eux, comme ils avaient l’air d’être des gars assez fun et marrant, en se fiant aux publications rigolotes et auto-dérisoires (et franchement anti-clichés métalliques) de leur page Facebook. Quand je les ai enfin vus jouer live en début de journée le 7 août 2016, JE FUS FLABBERGASTÉ. SUR LE CUL. AVEC UNE BANANE GRANDE COMME ÇA. C’ÉTAIT FUCKIN’ TROP PARFAIT. Je vous le jure. Et, en plus, ils étaient photogéniques en ta’, comme en témoignent les photos[2] débordantes de joie accompagnant ce papier-entrevue.
Ainsi, pour accompagner le lancement de leur troisième album, The Modern Art of Setting Ablaze (sorti le 24 août 2018 sur Nuclear Blast), on vous offre les meilleurs moments de cette jasette d’une demi-heure avec Erinç Sakarya, batteur, et Hanno Klänhardt, chanteur-guitariste, qui eut lieu sur la verdoyante Ile Ste-Hélène, non loin de la Plaine des Jeux, où se tenait Heavy Montréal en 2016.
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Après avoir envoyé une poignée de courriel à Liz, la relationniste de leur étiquette, je contactai Sandy, du Sandy Rock Inn[3], qui jouait le rôle de leur gérante de tournée lors de leur passage chez nous, afin de confirmer les détails inhérents à notre rencontre. En fin d’après-midi, j’allai rejoindre les gars au lieu du rendez-vous, backstage, dans l’espace média. Lorsque j’arrivai, les gars étaient en train de jaser avec Barney Greenaway, le chanteur du légendaire et influent groupe de grindcore anglais Napalm Death[4]. Tu peux te dire que t’es bien parti lorsque de telles pointures figurent parmi tes fans[5].
Lors de leur passage en ville, ils étaient en mode tournée de festivals : sur les 45 présences qu’ils avaient un peu partout cet été-là, il leur en restait une quinzaine avant de conclure le tout au Psycho Las Vegas. « C’est notre première fois au Canada, ça compte vraiment pour nous; c’est toujours cool de voyager et de venir dans un pays où on est jamais venu auparavant et j’étais vraiment surpris de voir qu’autant de monde s’étaient déplacés pour voir Mantar », de se surprendre Hanno, qui avait performé sur la petite scène Blabbermouth en début d’après midi.
FANS DE
Selon leur page Facebook, les variées influences de Mantar vont de Darkthrone à Manowar (!), en passant par Asphyx, Motörhead et les Melvins. Hanno, le jeunot du band (qui a 7 ans de moins que son batteur), indiquait qu’ils aiment « la musique heavy, mais pas vraiment les mêmes bands, c’est probablement pourquoi Mantar fonctionne si bien, on a différentes approches : je suis fan de black metal (…) alors qu’Erinç est un rock n’rolleur; sans un batteur rock, on ferait sûrement des tounes black de 7-8 minutes… ». Avec du corpsepaint? « M’en câlisse de ça, pas de gimmicks », de laisser tomber Hanno, qui disait être plutôt fan de la deuxième vague de black metal norvégien et anglais.
Et l’USBM? « Certain sont correct mais il y a pas mal de marde », de lancer le guitariste. Des poseurs? « Oui, dude, sérieusement, ‘tu dois prendre une décision : tu veux jouer du black metal ou du putain de post-metal d’étudiant?’». Lorsque je lui mentionne un nom de band du genre, il me répond qu’il ne nommera personne, qu’ils ont bien le droit de faire du post-metal, style qu’il n’aime pas trop. « Mais si tu veux jouer du black metal, tu dois être cru et primitif, c’est ce que je veux, j’ai grandi avec le thrash et le punk rock, et je veux mon black metal cru; je n’ai pas besoin de virtuoses, je veux de l’atmosphère et du danger » d’énoncer le flegmatique frontman.
Quant à Erinç, le rockeur rasé de près avec une coupe de cheveux clean-cut noire comme la nuit[6] disait aimer le rock des années 1970 et 80. « Quand j’étais petit, mes parents avaient acheté un paquet de vinyles pour pas cher, et il y en avait un de ce joueur de guitare électrique nommé Ricky King… j’écoutais cet album tous les jours en revenant de la maternelle; je voulais devenir guitariste », de se remémorer Erinç. « Ensuite, j’ai écouté beaucoup de pop des années 1980, comme A-ha; je crois que c’est important d’écouter de la musique pop, pour les mélodies et les harmonies, comme ABBA, les Beatles, des choses du genre » d’avancer le batteur allemand dont les parents sont d’origine turque[7].
Erinç est aussi fan de rock bigarré et de grunge, en passant par le punk et le hardcore : « j’ai toujours aimé la musique énergique; l’un des bands qui m’ont le plus influencé je dirais sur ma façon de jouer et qui m’ont montré jusqu’où on pouvait aller en terme de musique lourde étaient les Melvins, que j’ai vu live une couple de fois au début des années 1990 ». À Heavy Montreal, Erinç aurait bien aimé aller voir Sumac (avec Aaron Turner, ex-Isis), qui jouait en ville la veille, mais dû déclarer forfait, trop claqué pour y aller, le décalage horaire n’aidant pas. Quant à Hanno, il avait assez hâte de voir Candlemass[8].
DEUX GARS SANS T-SHIRTS NI BULLSHIT
Je le répète, Mantar offre quelque chose de frais. En concert, les deux musiciens se font face, positionnés de côté, avec la batterie normalement à tribord, comme si on était avec eux dans leur local de pratique. Ça ajoute à leur côté authentique et no-gimmick. Et en plus, le chanteur-guitariste gueule tout son désespoir dans un micro surélevé orienté vers le bas, comme ce bon vieux Lemmy, jadis. Deux dudes en chest, qui trippent solide en faisant du maudit bon bruit, pendant que nous autres, on headbang à tout rompre. « Je vois sa face quand on joue », de mentionner Erinç, avant qu’Hanno n’ajoute que c’est « plus facile pour se suivre (…) j’aime l’idée que les gens nous regarde et non l’inverse ». Et nous, on voit leur enthousiasme et leurs sourires quand ils performent. Ils ont du gros fun. « Comme t’as pu le voir, on ne peut pas cacher – même si on le voulait – la joie de jouer », d’avouer le guitariste.
Pas de gimmick. Pas de clichés. Comme le disait si bien Hanno : « sans vouloir manquer de respect à quiconque, ça doit être tellement épuisant de faire cette putain de partie de ‘tapez des mains’ et de ‘criez eh-oh’… dude, je n’arriverais pas à faire ça pendant une saison [de festivals], je préférerais rester chez nous à picoler en regardant le football; je ne suis pas là pour divertir les gens, je suis là pour jouer… si t’aimes ça, t’es plus que le bienvenue pour regarder et apprécier le rituel, mais je ne suis pas un putain de clown, ça n’arrivera pas ». Pas le temps de niaiser. Faut communier. Et sacrifier le poisseux riff à l’autel du volumineux beat. Genre.
Au fait, ça remonte à quant cette initiale rencontre? « Je ne sais trop… je crois que c’était il y a 18-19 ans, dans un show de bands locaux à Bremen[9], d’où on vient, et on a commencé à se tenir ensemble, devenir amis, jouer de la musique dans des bands différents », de relater Erinç, qui avait 41 ans au moment de l’entrevue. « Ça nous a pris 16 ans avant de former notre propre band… j’ai toujours voulu jouer avec lui mais ça ne s’est pas aligné avant 2013, alors qu’on s’est dit que c’était le bon moment pour finalement jammer ensemble; dès ce premier jam, pour moi, c’était évident qu’on allait se partir un band », de soutenir Hanno.
Donc une amitié qui remonte à 1997-1998. Quand même. Ainsi, on ne se surprend de constater qu’ils semblent très en phase, voire télépathiques, lorsqu’ils performent. Ce que me confirmait Hanno : « c’est une connexion très forte, sur le plan personnel et musical; quand on joue, je sais ce qu’il pense, avant qu’il le fasse ». Mais pourquoi juste deux? « Initialement, ce n’est pas comme si on voulait rester un duo pour être ‘spécial’; on a commencé à faire des shows à deux et ça s’est comme imposé, lorsqu’on n’a pas vraiment trouvé de bassiste qui fittait », d’évoquer Erinç, tout en soutenant que c’est « tellement plus facile de pratiquer et de voyager à deux ». Je le crois sur parole. De toute façon, ils n’ont pas besoin de personne, juste un bon gros sacrament de son. « Le volume est le troisième membre du groupe », de lancer Hanno, avant d’afficher un large sourire de satisfaction.
Même en tournée, ils se la jouaient DYI[10] : un two-man-army, comme on dit dans la langue de Buzz Osborne. Rares sont les coups de main pour vendre leurs produits dérivés ou au niveau sono. Habituellement, ils s’arrangent tous seuls, comme des grands. Quoi qui l’en soit, ils n’ont pas trop de matos à gérer, étant donné que la batterie d’Erinç est toute simple : une grosse caisse, un snare, un hi-hat, quelques toms et cymbales, that’s it. Pas besoin de plus. Un peu comme John Stanier (ex-Helmet, Battles, Tomahawk). « Les blast-beats, ça ne veut rien dire », de lancer Hanno; « c’est cool si c’est pour vrai, mais si c’est juste une gimmick et que tu prétends jouer dans une espèce de band de métal extrême, on s’en fout; si tu joues de façon authentique, ça torche… check AC/DC ».
LE MASTERPLAN DE MANTAR?
« On vise à faire de la musique qui parle aux instincts primitifs, avec un bon beat ou un bon riff, les deux en même temps si on est chanceux; on veut écrire des chansons qui te feront fondre la face, pas faire des paysages sonores de fou, d’intéressants rêves créés avec des sons… ne-non, dude, je veux t’enculer devant tes amis [traduction de butt-fuck you in front of your friends] ». Et son batteur de rétorquer : « on a des chansons, avec un début, un refrain, qui deviennent plus heavy, qui explosent et qui se terminent ». Tout simplement.
Lorsqu’on leur avoue que leur musique, aussi primale que brutale, fonctionne vraiment bien, en particulier en concert alors qu’on peut aisément ressentir l’authenticité et tout l’aspect no-bullshit du binôme, Hanno admet « qu’on ne fait juste jouer aussi fort qu’on peut, peu importe s’il y a 1000 ou 10 personnes, si on est en Espagne, au Canada, aux USA, en Europe ou en freakin’ Norvège, dès que les gens sont dedans, j’oublie littéralement où je suis, je le bloque… je me fous de la salle, du nombre de gens, ils sont témoins du rituel ».
« On aime ce qu’on fait, la beauté de la destruction… c’est cool, juste tuer, foutre le bordel… pour moi, c’est ça », de résumer Hanno; « quand je faisais du skate, je m’en foutais des tricks, je ne voulais que rider vite sans avoir peur de tomber, shredder ». En déconnant, il dit avoir arrêté le skateboard lorsqu’il a commencé à boire plus sérieusement, tout en mentionnant qu’il n’était pas très bon de toute façon (et qu’une blessure à un genou y est aussi pour quelque chose).
À quand la domination mondiale pour Mantar? « On ne fait jamais de plan, c’est la clé pour avoir une bonne expérience; avoir des attentes, c’est facile d’être déçu; si t’aimes être surpris, c’est toujours gagnant, peu importe la taille de la surprise; on a commencé ce band avec littéralement l’intention de sortir une cassette, en faire 50 copies pour donner à des amis et peut-être faire un show par chez nous, genre, et dude, quelques mois plus tard, on était en tournée et on allait aux USA et tout est allé si vite », de se surprendre Hanno, qui dit être vraiment reconnaissant de ce qui lui arrive, et qu’il ne prend rien pour acquis. Et c’est très bien ainsi. T’as du feu? Mantar en ont du sacré, eux, et le foutent partout où ils vont, mon vieux. En espérant qu’ils se ramènent dans notre bout avant longtemps[11], hein?
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P.S. En quittant le backstage, j’ai recroisé Barney, qui portait un t-shirt orange… des Melvins. Et un peu plus tard, j’ai revu Hanno, qui regardait le set de Napalm Death side-stage (voir ci-dessous). Comme quoi, toute est dans toute. Hail Mantar! \m/
Kristof G.
PHOTOS : KRISTOF G.
[1] Et seul à ce jour, hélas.
[2] Merci à Voir.ca pour qui je shootais le festival.
[3] Genre de bed and breakfast montréalais servant de havre pour beaucoup de musiciens jouant du bon rock.
[4] Lors de Heavy Montreal 2018, j’ai également eu l’opportunité de jaser plus d’une heure de films d’horreur avec le bassiste Shane Embury. Stay tuned!
[5] Erinç et Hanno m’ont confirmé avoir croisé les gars de ND à plusieurs reprises dans des festivals, qu’ils furent agréablement surpris de les voir porter des t-shirts de Mantar et qu’ils sont toujours très le fun à jaser.
[6] Qui arbore aujourd’hui une barbe et des cheveux poivre et sel.
[7] Mantar signifie champignon en turc. Comme de raison, on le suppose magique, style trip psychédélique.
[8] Le band doom fermait la journée sur la même scène qu’eux.
[9] Bremen est une ville industrielle du nord-ouest de l’Allemagne, qui compte environ 500 000 habitants. Ils vivent maintenant non loin de là, à Hambourg, la deuxième plus grosse ville du Pays, avec ses 1.8 millions de gens.
[10] Do it yourself, fais-le toi-même, le mantra de tout punk qui se respecte.
[11] Lorsque j’ai interrogé Erinç sur Facebook à la mi-août 2018, il me parlait d’une possible tournée nord-américaine pour l’année prochaine. On se croise les doigts.